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La marche continue de l’habitat en Charentes

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La marche continue de l’habitat en Charentes

Avec une densité inférieure à la moyenne nationale, les Charentes se caractérisent par une population très inégalement répartie, qui dépend de moins en moins de la vigne. Sur ce territoire, des espaces presque vides succèdent ainsi à d’autres bien plus peuplés.

Le clocher de l’église Saint-Pierre domine le bourg de Rouillac, dans les Fins Bois. @Michel Guillard

Le clocher de l’église Saint-Pierre domine le bourg de Rouillac, dans les Fins Bois. @Michel Guillard

Une démographie disparate en Charente-Maritime

En raison des activités liées à la mer, la Charente-Maritime connaît une hausse régulière de sa population (plus de 90 hab/km²), tandis que la Charente (56 hab/ km²) souffre d’un déclin démographique difficile à enrayer, près de 50 % de ses habitants occupant moins de 10 % du territoire. Les cantons peuplés des Charentes se focalisent entre Angoulême et Cognac, et se prolongent en direction de Saintes. Les densités y sont souvent supérieures à 70 hab/km² et correspondent à la voie de passage de la moyenne Charente, relativement bien desservie par l’ancienne voie de navigation, le chemin de fer, la N141, le prolongement de l’axe Centre Europe Atlantique. Le vignoble charentais et les villes de négoce maintiennent encore un certain seuil de peuplement. Sur la façade maritime, la densité est supérieure à 100 hab/km², en raison des activités maritimes et de l’essor du tourisme balnéaire. 

Au-delà des trois premiers crus de l’appellation Cognac, la densité faiblit rapidement. Dans le rural profond, elle est inférieure à 30 hab/km², les cantons de Jonzac et Saint-Jean-d’Angély tombant à moins de 28 hab/km². En Haute-Saintonge, l’occupation humaine est au-dessous de 10 hab/km² dans la forêt de la Double, tous les services ayant disparu depuis longtemps. En Charente, les cantons de Villefagnan, Aigre, Mansle… sont à moins de 25 hab/km².

La diagonale française du vide commence aux portes de Cognac et d’Angoulême. Dès que la vigne disparaît, les grandes cultures et la concentration des exploitations éliminent les possibilités de croissance de la population. Le monde rural se répartit sous deux formes de peuplement. Une diagonale d’habitat groupé s’allonge de l’Aunis à l’Angoumois en passant par Saint-Jean-d’Angély, Matha et Rouillac, avec de gros bourgs de 100 à 200 habitants situés en position de carrefour : Brie-sous-Matha, Siecq, Mareuil, Sigogne… L’occupation humaine est déjà très ancienne sur ces bas plateaux découverts et de terres de groies… Le bourg est implanté au milieu d’un noyau viticole et les exploitations se regroupent en son centre. Jadis, il était mieux doté en services publics et commerces dépendants de la viticulture. Avec le nouveau siècle, le dépeuplement se confirme, les belles fermes à cour fermée deviennent des maisons résidentielles, souvent acquises par des Britanniques. Pour s’adapter, les bouilleurs de cru ont installé à l’extérieur des équipements correspondant aux techniques viticoles actuelles. Le bourg perd sa fonction d’origine, les activités se replient vers le chef-lieu de canton. Au sud de Saintes et Cognac, la dépression crayeuse santonienne et le bas pays campanien recensent quelques gros bourgs : Montils, Pérignac, Lonzac… À proximité, la voie gallo-romaine ou chemin Boisné les a toujours desservis. L’existence de terres fromentales et de puissantes seigneuries ont favorisé cette forme de peuplement. Ce type d’habitat se rencontre également dans quelques secteurs du Pays royannais.

L’entrée dans la cour fermée d’une ferme charentaise s’effectue par un monumental portail en anse de panier. La dimension de l’entrée et la pierre de taille blanche révèlent l’aisance du bouilleur de cru. Elle comprend une porte charretière et une entrée réservée aux piétons.
@Michel Guillard

Les terres charentaises vivent au rythme de la viticulture 

Sur le reste de l’espace viticole charentais, domine un habitat dispersé à semi-groupé. Les terres de Champagne sont marquées par l’existence de bourgs importants qui ont longtemps recensé des services liés à la viticulture : forgeron, charron, tonnelier, atelier de machines agricoles, commerces… Au-delà du bourg, se développent des hameaux de différentes dimensions et des fermes isolées plus récentes. L’occupation humaine correspond aux étapes de l’implantation du vignoble. Au cours du XVIIIe siècle, la Champagne de Segonzac enregistre d’importantes plantations d’ouest en est. L’habitat devient plus dispersé sur les communes de Saint-Preuil, Bonneuil, Touzac, Malaville… De belles fermes viticoles répondent à la demande en eaux-de-vie des années 1830-1870. Les négociants cognaçais s’intéressent également aux vins des rives de l’estuaire de la Gironde et du sud des Charentes. L’implantation humaine est directement tributaire de la situation de l’économie viticole. Depuis les années 2000, le vignoble n’est plus un rempart au dépeuplement. Les travaux viticoles se réduisent en fonction de la capacité financière des exploitations qui continuent à se moderniser pour maîtriser les prix de revient. 

Cet élégant portail donne accès à une cour où se trouve un chai à barriques, comme en témoignent les pierres noircies par le torula.

Cet élégant portail donne accès à une cour où se trouve un chai à barriques, comme en témoignent les pierres noircies par le torula. @Michel Guillard

Les habitats de la région charentaise toujours en évolution

Dans les bourgs et certains hameaux de Grande Champagne, émergent depuis la seconde moitié du XIXe siècle un petit château, un « hôtel particulier » aux toitures d’ardoises, signes de la richesse des familles de bouilleurs de cru et de profession. En utilisant de nouveaux matériaux de construction, ceux-ci affichent ainsi leur réussite sociale. Aujourd’hui, les investissements se portent sur le renouvellement du vignoble, les équipements viticoles et la prise en compte des données environnementales. 

Au cours des deux siècles de l’âge d’or du cognac, la ferme charentaise viticole s’enrichit de nouveaux bâtiments. Au XVIIIe, sa configuration reste modeste avec la maison de maître, peu élancée, la grange et le chai dans le prolongement. Par la suite, l’habitation principale prend l’allure d’une longère, un alignement de bâtiments sans étage. Après les années 1850, l’essor des ventes de cognac donne un nouvel élan à l’esprit d’entreprise. Un étage s’ajoute à la maison de maître, dont les pièces se répartissent de part et d’autre d’une entrée principale. Le plan rectangulaire de la ferme s’achève par la distillerie et les chais d’eau-de-vie, noircis par une levure nourrie des vapeurs d’alcool. 

Le logis du Frêne, construit à flanc de coteaux. Il porte la date de 1589 près de l’oriel qui orne sa façade. Le portail et les tours de l’enceinte semblent bien dater eux aussi de la fin du XVIe siècle.

Le logis du Frêne, construit à flanc de coteaux. Il porte la date de 1589 près de l’oriel qui orne sa façade. Le portail et les tours de l’enceinte semblent bien dater eux aussi de la fin du XVIe siècle. @Michel Guillard

Avec ses hauts murs aveugles percés d’un porche monumental couvert d’un arc en anse de panier et comprenant une porte charretière et une entrée piétonne en pierre de taille, la ferme viticole impressionne au milieu des terres à vigne. Exposée au midi, la maison de maître est dotée d’une couverture à quatre pans coupés et, selon l’aisance financière de son propriétaire, l’ardoise remplace la tuile pour la toiture. Sous la pression des révolutions techniques et de la fiscalité, le bel ordonnancement du plan explose pour des raisons de commodité et de sécurité.

Le domaine du Droguet à Chérac est une ferme saintongeaise chargée d’histoire. Les tourelles de style médiéval décorent l’entrée, annoncent une succession de longs bâtiments servant à l’habitation et aux communs.

Le domaine du Droguet à Chérac est une ferme saintongeaise chargée d’histoire. Les tourelles de style médiéval décorent l’entrée, annoncent une succession de longs bâtiments servant à l’habitation et aux communs. @Michel Guillard

La distillerie et les chais de vieillissement sont transférés à l’extérieur, au-delà de l’allée principale d’accès. La plupart des bouilleurs de cru disposent d’un alambic charentais pour transformer les vins. Apparaissent alors les cheminées en briques rouges des chaudières au-dessus des toitures, les cuves en inox pour le stockage des vins et des eaux de refroidissement, les citernes de récupération des marcs… À proximité, s’allongent les chais d’eaux-de-vie, édifiés dans un appareillage traditionnel de pierres et de moellons pour garantir l’obscurité, l’hygrométrie et limiter l’évaporation de la part des anges. Aujourd’hui les chais se modernisent au moyen d’équipements permettant une meilleure sécurité, tout en s’inscrivant dans une démarche de développement durable.

Au sud de Segonzac, le village de Puyguiller est dominé par un beau logis de la fin du XIXe siècle au toit d’ardoises. Les toitures en tuiles colorées par le torula permettent de localiser l’emplacement des bâtiments de stockage des eaux-de-vie dans un décor de paysage automnal. @Michel Guillard

Au sud de Segonzac, le village de Puyguiller est dominé par un beau logis de la fin du XIXe siècle au toit d’ardoises. Les toitures en tuiles colorées par le torula permettent de localiser l’emplacement des bâtiments de stockage des eaux-de-vie dans un décor de paysage automnal. @Michel Guillard

Dans le Cognaçais, le porche d’entrée monumental en anse de panier porte souvent une belle frise sculptée dans la pierre de taille. Le souci du décor contraste avec la maison de maître couverte en tuiles. @Michel Guillard

Dans le Cognaçais, le porche d’entrée monumental en anse de panier porte souvent une belle frise sculptée dans la pierre de taille. Le souci du décor contraste avec la maison de maître couverte en tuiles. @Michel Guillard

Quel avenir pour les habitats en Charente ?

Malgré le dépeuplement demeurent encore de petits centres urbains qui concentrent des espaces résidentiels, des activités artisanales et de négoce comme Segonzac, Châteauneuf, Jonzac, Gémozac… Le tissu urbain y est encore vivant et plus ou moins dynamique. Aux côtés des chais de vieillissement, existent des ateliers de tonnellerie, des zones artisanales proposant du matériel viticole, des aires de stockage… Mais leurs services (perception, agences d’assurances et bancaires…) ont disparu. Les deux capitales des eaux-de-vie, Jarnac et Cognac, exercent une forte emprise sur le vignoble et les chefs-lieux de cantons. En moins de deux siècles, elles ont enregistré une forte croissance urbaine liée au développement commercial du cognac. Elles concentrent le siège des principales maisons de négoce et sont enracinées le long du fleuve, l’ancien axe navigable pour expédier les précieuses denrées vers les ports d’estuaire de Tonnay-Charente et de Rochefort. Avec moins de 5 000 habitants, Jarnac réussit à maintenir une certaine attraction grâce aux maisons de négoce. Courvoisier, Royer, Delamain, Hine… Quant à Cognac (27 000 habitants), elle a éliminé ses rivales dans la gestion du monde viticole, l’implantation du BNIC (Bureau National Interprofessionnel du Cognac) valorisant sa vocation au service de la filière. Angoulême lui a ainsi cédé l’administration viticole : douanes, négoce… Les principales maisons de commerce (Hennessy, Martell, Rémy Martin, Camus…) représentent des pôles d’emploi de 200 à plus de 500 salariés. Se succèdent des zones industrielles et commerciales, de gros ateliers de tonnellerie pour alimenter les chais de stockage, des entrepôts de cognac, des usines de mise en bouteilles, de façonnage, d’emballage. 

La porte d’entrée monumentale possède une architecture plus classique mais équilibrée avec deux portes piétonnes dont une aveugle. À l’intérieur, la maison de maître est un logis à la toiture d’ardoises, signe d’une certaine réussite dans la viticulture.

La porte d’entrée monumentale possède une architecture plus classique, mais équilibrée avec deux portes piétonnes dont une aveugle. À l’intérieur, la maison de maître est un logis à la toiture d’ardoises, signe d’une certaine réussite dans la viticulture. @Michel Guillard

Ce paysage urbanisé typique est en pleine transformation pour s’adapter aux nouvelles conditions économiques et de sécurité. Le stockage des eaux-de-vie se déplace vers des entrepôts spécialisés à la périphérie des villes ou à la campagne : Merpins pour Rémy Martin, Bagnolet pour Hennessy, Rouillac pour Martell… Les mutations actuelles destinées à satisfaire les amateurs de belles eaux-de-vie et les touristes attirés par un riche patrimoine montrent qu’il reste encore de nouveaux potentiels à développer.

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