série DÉGUSTER
Comment les expériences de la dégustation de cognac et du souvenir, des lieux perdus notamment, s’entremêlent ? Le journaliste Victor Coutard a échangé avec deux amateurs de cognac qui vivent loin de leur pays d’origine : l’autrice française Victoire Loup aujourd’hui installée à Los Angeles et l’artiste iranien Pooya Abbasian qui depuis dix ans réside à Paris.
Victoire Loup : « Se souvenir pour retrouver des moments passés »
La dégustation, une expérience sensorielle qui peut se décrire, se partager. Une expérience intime aussi, comme un voyage à travers la mémoire, semblent dire Victoire Loup et Pooya Abbasian, qui tous deux usent spontanément du champ lexical de la mémoire ou du souvenir à l’heure de convoquer le cognac dans la discussion.
De retour à Los Angeles après une année en France pour préparer et publier son livre Cuites (recueil de recettes et anecdotes de lendemains de soirée par quelques-uns des plus grands chefs de France), la journaliste culinaire a rapporté dans ses bagages une bouteille de cognac.
« J’associe le cognac à un temps qui est une parenthèse symbolique : le temps d’après le dîner, un moment volé qui n’existe pas en Californie. En France, on peut rester à table pendant des heures à refaire le monde alors que le rythme est inverse aux États-Unis : on arrive tôt, on discute, on met la main à la pâte et, à peine la dernière cuillère de dessert terminée, on sent qu’il convient de rentrer. Ce moment bien français où le temps est suspendu me manque. Car il est toujours l’occasion d’approfondir une conversation, de s’autoriser une boîte de chocolats, de retourner le vinyle oublié pendant le dîner… et d’ouvrir une bouteille de cognac ! »
Le souvenir, l’ancienne directrice de la communication du Fooding, y attache beaucoup d’importance pour tout ce qui touche au goût. « Par exemple, lorsque je chronique des restaurants, je ne prends pas de notes, je me fie à ma mémoire car elle ne garde que l’essentiel. Elle est ce filtre, qui néglige parfois des détails, mais qui a le mérite d’épurer le propos et de me permettre de trouver le bon fil rouge. »
Pooya Abbasian : « Se souvenir pour relier l’histoire et le futur »
Installé depuis une décennie à Paris, le vidéaste iranien Pooya Abassian, collaborateur régulier du cinéaste Jafar Panahi notamment sur le film Taxi Téhéran (Ours d’or du meilleur film au Festival international du film de Berlin, 2015), explore pour sa part les dimensions du souvenir à travers l’image. « De toute façon, je crois que l’acte de filmer, en lui-même, a à voir avec la question du souvenir », tranche-t-il.
Une pensée qu’il développe en évoquant le cognac. « Comme le cinéma, le cognac aussi donne du corps au temps. Et c’est quelque chose auquel je suis sensible. L’expérience de la dégustation me permet de me plonger dans mon histoire. » Il revient au cinéma. « Les images m’obsèdent et je me suis souvent demandé pourquoi. Je crois que, par ma situation, j’aspire à visualiser les processus de la mémorisation. Cela dit, je veux aussi créer mes propres souvenirs à partir de ma vie en France et il y a encore un parallèle avec le cognac : en matérialisant le temps, il me permet aussi de me plonger dans mon futur. »
©Benoît Linero