Patrick Raguenaud nous conte le Cognac
Découvrez la « master class » sur le Cognac avec Patrick Raguenaud, viticulteur et ancien Président du Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC). Ce podcast est enregistré par Philippe Hermet pour 20 DIVIN. Dans cet épisode, Patrick Raguenaud évoque le procédé de fabrication du Cognac, autour de la fameuse double distillation en alambic charentais, les différents crus qui composent le vignoble de Cognac et nous donne quelques repères historiques.
Philippe : « C’est une masterclass sur le Cognac que je vous propose aujourd’hui avec comme invité Patrick Raguenaud. Né à Jarnac d’une famille de viticulture et distillateur, Patrick Raguenaud a été maître de chais et directeur de production chez Martell, puis chez Grand Marnier et était jusqu’en 2020, président du Bureau National de l’Interprofession, le BNIC.
Dans cet épisode il va nous parler du procédé de fabrication du Cognac, des différents crus mais aussi de l’histoire de cette boisson que Victor Hugo appelait la liqueur des Dieux.
Je m’appelle Philippe Hermet, bienvenue dans 20 Divin.
Aujourd’hui je reçois Patrick Raguenaud, nous sommes à Cognac. Bonjour Patrick ! »
Patrick : « Bonjour Philippe ! »
Philippe : « On le sait assez peu mais la région de Cognac est l’une des régions viticoles les plus importantes de France. »
Patrick : « Oui tout à fait, non seulement en termes de surface mais également en termes de volume d’affaires, de chiffre d’affaires. »
Philippe : « C’est la première région productrice de vin blanc en tout cas. »
Patrick : « Oui, c’est vrai. »
1/ Les différents cépages utilisés pour le Cognac
Philippe : « Ce qu’on sait assez peu, c’est qu’il y a principalement l’Ugni blanc comme cépage mais il y a aussi la folle blanche. »
Patrick : « On peut considérer que l’Ugni blanc remporte haut la main le challenge, puisque ça doit représenter aujourd’hui près de 98% de l’encépagement de la région de Cognac. Sur 80 000 hectares de vigne, donc ça fait quand même une belle surface en Ugni blanc, et les 2% c’est un petit peu de folle-blanche, un petit peu de Colombard. L’Ugni blanc reste très majoritaire. »
Philippe : « Qui est, un cépage d’origine italienne, je crois ? »
Patrick : « C’est ça, c’est un cépage d’Italie qui a été acclimaté avec un certain succès dans la région. Ce qui permet d’avoir des vins blancs plutôt acides, plutôt légers qui donnent des vins plutôt simples, mais qui permet surtout et c’est ça qui est important, d’avoir des eaux-de-vie de très grandes qualités. »
Philippe : « Il est important justement d’avoir un vin légèrement acide pour pouvoir produire le Cognac ? »
Patrick : « L’acidité est importante parce que nous ne sulfitons pas nos vins pour les conserver à Cognac. L’acidité naturelle est donc un moyen naturel de conservation des vins avant la distillation. La distillation commence après les vendanges, c’est-à-dire au mois d’octobre pour se terminer au 31 Mars au plus tard. »
2/ Le procédé de distillation du Cognac
Philippe : « Il y a une double distillation, c’est ça ? Comment est-ce qu’on distille le vin du Cognac ? »
Patrick : « C’est toujours avec du vin blanc, comme vous le disiez tout à l’heure. La distillation se fait en 2 temps. D’abord dans des alambics charentais, alors je peux en parler, mais je ne peux pas le montrer. Grosso modo on met le vin dans une grosse casserole en cuivre que l’on va chauffer, et porter à ébullition. Les vapeurs vont monter dans ce qu’on appelle un chapiteau, ensuite un col de cygne et elles vont être condensés dans un condenseur rempli d’eau froide, qu’on appelle la pipe. On obtient un vin qui titre en alcool autour de 10% pour cette première distillation. Je parle bien de la première distillation, qui va donner un distillat, que l’on appelle le brouillis et qui lui va titrer aux alentours de 30% d’alcool, ça c’est la première distillation.
Ensuite, il y a une seconde distillation toujours dans le même alambic ou un autre et ce brouillis on va le mettre dans l’alambic et on va le distiller de nouveau et on va obtenir 3 choses principalement : la tête, le cœur et les « secondes » appelé aussi les queues.
Le cœur, c’est vraiment le liquide roi, c’est le Cognac. C’est lui qu’on va garder qu’on va mettre en baril, qui va donner le Cognac. Voilà donc première distillation le vin donne le brouillis, deuxième distillation le brouillis va donner le Cognac. »
Philippe : « D’accord et quand on a la destination finale après la distillation on a à peu près 70° d’alcool c’est ça ? »
Patrick : « Autour de 72-71% d’alcool, c’est ça. »
Philippe : « Avec le réchauffement climatique, il y a t-il des discussions en cours pour pouvoir augmenter cette limite ? Puisque j’imagine que pour les vins, il y a un risque de perte d’acidité ? »
Patrick : « Ce qui est important et ça l’a toujours été, c’est de garder ce qui fait la typicité, ce qui fait la qualité de nos produits. Pour garder cette acidité, pour garder cette typicité à nos vins, nous anticipons nos vendanges, nous ramassons les raisins plus tôt. De ce fait, on évite la sur-maturité, on évite les phénomènes d’extrême maturation, de façon à conserver l’acidité qui, effectivement, est importante et essentielle à la qualité de nos eaux-de-vie. »
3/ Les différents crus du Cognac
Philippe : « Cette région aujourd’hui, du Cognac, elle s’étend sur quels départements ? »
Patrick : « Elle s’étend sur la Charente Maritime en totalité en priorité, sur les 2/3 de la Charente il y a un petit bout de Sève, un tout petit bout sur la Dordogne, donc on peut considérer que c’est Charentes / Charente Maritime. »
Philipe : « Elle compte donc six zones de production différentes ? »
Patrick : « Qu’est-ce qui fait que ces crus sont différents ? Il y a un point essentiel à retenir et vous étiez avec nous il y a de ça quelques semaines sur le terrain, c’est le sol. Ce qui va faire que le vin produit en Grande Champagne n’est pas le vin produit en Fin Bois ou en Bons Bois et bien c’est le sol. On a différents types de sols qui vont donner différents types de vins, qui à leur tour donneront différents types de Cognac et d’autres eaux-de-vie. »
Philippe : « On a la Grande Champagne, on a dit le cœur où se trouve Cognac c’est Bonzac. »
Patrick : « Exactement, c’est un sol calcaire de craie, crétacé, qui va donner des eaux-de-vie très fines très élégantes, mais en même temps très puissantes et qui ont une capacité au vieillissement absolument extraordinaire. »
Philippe : « Ensuite on a la Petite Champagne ? »
Patrick : « La Petite Champagne, qui est un terroir assez similaire à la grande, mais avec des caractéristiques un petit peu moins prononcées, donc finesse puissance un peu moins de puissance. »
Philippe : « Le troisième cru, ce sont les Borderies ? »
Patrick : « Les Borderies, c’est un petit terroir, mais tout à fait intéressant. Parce qu’il se distingue par son sol. Un sol argilo-siliceux, beaucoup de silex, des eaux-de-vie très fines, très florales, assez féminines, avec parfois des parfums de violette. »
Philippe : « Ensuite on a les Fins Bois ? »
Patrick : « Oui, Fin bois c’est un peu le cœur, en termes de terroir, c’est le plus grand. C’est le plus grand cru avec des sols argilo-calcaires principalement jurassiques qui vont donner des eaux-de-vie très fruitées et qui vont vite mûrir.
4/ Les mentions de vieillissement des Cognacs
Philippe : « Vous avez parlé de VS/VSOP. Est-ce qu’on peut expliquer à nos auditeurs toutes ces différences ? VS c’est Very Spécial, c’est 2 ans minimum de vieillissement ? »
Patrick : « C’est ça, on a aussi dans la même catégorie de 3 étoiles ou VS qui sont les 2 mentions les plus utilisées. Ensuite on a aussi les VSOP, que j’ai cité tout à l’heure. »
Philippe : « Qui sont âgés de 4 ans minimum ? »
Patrick : « C’est ça, c’est 4 ans minimum de vieillissement. En sachant que, pour le VS comme pour le VSOP d’ailleurs aussi comme pour les autres, les négociants produisent et vendent des Cognacs qui sont significativement plus âgés que le minimum réglementaire. Ensuite vous avez le XO, minimum 10 ans. »
Philippe : « Il y a les Napoléon entre les deux ? »
Patrick : « J’oubliais, vous avez raison merci ! »
Philippe : « C’est 6 ans ? »
Patrick : « Oui, je vois que vous avez bien appris depuis votre dernier passage ! Donc Napoléon, 6 ans effectivement. Ensuite, je disais XO 10 ans minimum et XXO minimum 14 ans. Voilà quelle est la hiérarchie de nos mentions de vieillissement ici à Cognac. »
5/ La fabrication du Cognac
Philippe : « On a vu la distillation, ensuite on a une réduction en fait avec de l’eau pour faire descendre un petit peu le degré d’alcool c’est ça ? »
Patrick : « On va mettre l’eau-de-vie en fût à un degré autour de 71% d’alcool. Il va y avoir un phénomène pendant le vieillissement d’évaporation, qui va faire que normalement le degré baisse, je dis normalement, parce que dans certaines conditions ce n’est pas le cas en particulier si les chais sont plutôt secs. Les chais humides et les chais secs vont donner des profils aromatiques assez différents et pour le négociant c’est important. Pour le viticulteur aussi, parce que dans un chai humide, on va avoir une eau-de-vie plutôt ronde et moelleuse et à contrario dans un chai sec, on va obtenir des eaux-de-vie un petit peu plus « sharp » comme on dirait en anglais. On dirait en français un petit peu pointu, un petit peu forte, un peu sèche. Parfois, les uns et les autres font des mariages absolument extraordinaires et délicieux. Le vieillissement permet la perte de degrés naturelle, mais parfois ça ne suffit pas, donc on va faire ce qu’on appelle des réductions par ajout d’eau dans le Cognac et on va ramener de façon à respecter le Cognac on va faire une réduction très progressive du degré. »
Philipe : « Ensuite on a toutes ces eaux-de-vie qui vont vieillir plus ou moins longtemps et puis là va intervenir le chef d’orchestre : le maître de chai, qui va faire les assemblages ? »
6/ L’assemblage par les maîtres de chai
Patrick : « Avant de parler de l’assemblage, si vous permettez quelques mots sur la barrique. Cela me semble être un élément essentiel dans la qualité du Cognac et de son élaboration. Ce sont des barriques qui en général font 354/400L. Ils sont en bois de chêne et en chêne français bien souvent. Et qui vont apporter des arômes, qui vont apporter un bouquet, qui vont apporter une typicité suivant le type de chêne. En fonction du chai et du barrique suivant les terroirs les crus le maître de chai va faire son métier qui est l’assemblage.
L’assemblage c’est sur votre table des échantillons provenant de toute cette diversité que je viens d’évoquer : terroir, barrique, chai etc. Et pour autant il va falloir que vous fabriquiez, que vous élaboriez, un produit qui année après année sera constant doit être le même. L’art de l’assemblage c’est cette capacité qu’ont nos maîtres de chai, qu’ils ont acquis avec l’expérience. C’est l’expertise de faire avec des ingrédients différents, un produit toujours de très haute qualité et toujours de qualité régulière et constante. C’est un long travail d’apprentissage, d’expertise, vous comprenez qu’il faut une excellente pratique et une ancienne pratique pour pouvoir maîtriser tout ça. Il y a un savoir-faire qui se transmet aussi de génération en génération. On est au cœur de ce savoir-faire. »
7/ La naissance du Bureau National de L’interprofession du Cognac (BNIC)
Philippe : « Il va y avoir quand même une structuration importante de la filière entre viticulteurs et négociants. »
Patrick : « Plutôt que de structuration, je dirais l’intérêt bien compris et partager des 2 partenaires obligés en quelque sorte, que sont les viticulteurs et les négociants. Quand les Anglais, ou plutôt le négoce anglais s’établit à Cognac, c’est un négoce qui achète et qui revend. Il ne produit pas, il va acheter ses eaux-de-vie, il va acheter ses cognacs auprès de nombreux viticulteurs dans la campagne. »
Philippe : « Des bouilleurs de cru ? »
Patrick : « Des bouilleurs de cru principalement, mais aussi des grosses distilleries. Mais ce négoce n’est pas producteur en tant que tel, il ne possède pas de vigne. Aujourd’hui, c’est toujours ce modèle économique qui prévaut à Cognac, c’est-à-dire qu’aujourd’hui le négociant achète du vin ou du Cognac à des viticulteurs, l’élève, le transforme, fait l’assemblage et ensuite le vend ça reste toujours comme ça. Ce modèle ne peut fonctionner que si tout le monde a bien compris où est son intérêt. L’intérêt du négociant c’est d’avoir de la marchandise à acheter pour pouvoir vendre et l’intérêt des viticulteurs c’est d’avoir des produits qui va pouvoir vendre. Obligatoirement il doit y avoir un accord, il doit y avoir négociation, il doit y avoir entente. C’est de ce principe-là et de cette constatation-là, qu’est né aujourd’hui ce qui s’appelle le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC). C’est l’héritier de cette logique de cet intérêt collectif de vie ensemble et de vie collective donc le collectif à Cognac s’exprime au BNIC et il repose sur cet intérêt partagé des 2 familles : négociants et viticulteurs. »
Philippe : « Ils sont représentés à 50/50 ? »
Patrick : « Absolument. »
Philippe : « Parmi les personnages illustrés de la région, il y a l’un des pères fondateurs de l’Europe : Jean Monnet, cognaçais et fils de négociant qui a fait beaucoup notamment pour la défense des accords de libre-échange. J’ai noté une phrase de son grand-père qui lui aurait dit « N’oublie jamais qu’à Cognac, une nouvelle idée est une mauvaise idée ». »
Patrick : « Cette phrase traduit un certain conservatisme. Une certaine rigueur de la tradition, je pense que ça ne reflète pas très bien l’esprit du négoce qui me semble personnellement, avoir toujours été à la pointe au contraire à l’écoute de ses consommateurs, à l’écoute du marché et qui a toujours su s’adapter. On ne traverse pas plus de 300 ans l’histoire sans avoir été en permanence à l’écoute du changement, à l’écoute des tendances du moment. Ce n’est pas possible et je pense qu’une des grandes forces du Cognac au contraire, c’est d’avoir préservé ce qui fait ce qu’est le Cognac : son terroir, ses méthodes de production, un grand respect des familles négociants et viticulteurs, mais en même temps d’avoir été innovant sur la partie consommation par exemple. La façon dont on consommait le Cognac au 19e siècle aujourd’hui ça n’a rien à voir. Il y a toujours eu une adaptation permanente à la fois au monde, puisqu’on exporte à 98%, et à la fois aux usages des consommateurs je pense que le Cognac c’est un petit peu ça. »
8/ La région Cognac bientôt reconnue au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO ?
Philippe : « Dernier projet aussi de la région en cours c’est le dossier pour être reconnu au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco c’est ça ? »
Patrick : « C’est ça, projet sur lequel travaille le BNIC, toute l’interprofession et beaucoup de personnes. C’est un dossier qui est long, compliqué, c’est un travail par étape et je pense que là la motivation de toute l’interprofession : viticulteur négociant est totale et je ne doute pas qu’on y arrive prochainement, j’en suis certain ».
Philippe : « Parfait. Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter Patrick ? »
Patrick : « J’espère que vos auditeurs seront ravis et qu’ils auront appris beaucoup de choses sur le Cognac mais je les invite surtout à venir nous voir, à visiter, à déguster, on peut visiter des négociants, on peut visiter des viticulteurs. C’est une belle région et je pense que vous êtes là pour en témoigner. Je crois que : Venez nous voir, c’est le plus beau message que je puisse transmettre. »
Philippe : « Merci Patrick pour votre temps et puis à bientôt ! »
Patrick : « Merci à vous ! »