Le journaliste Alexandre Vingtier a demandé à Richard Braastad, maître de chai de la maison Tiffon, le mot qui raconte le mieux son rapport au cognac. Il a choisi la patience.
La patience d’une vie
« Ma vie se confond avec le cognac. J’ai travaillé pendant quinze années dans les vignes familiales. Pendant ces quinze années, je me suis interrogé, chaque instant, sur la météo, sur l’apport en eau, sur le risque de maladies jusqu’à l’arrivée de la vendange, qui constituait chaque année une forme de délivrance. Mais ce n’était pas fini : mes hivers, je les passais devant mes dix chaudières, à surveiller chaque eau-de-vie qui coulait.
Et puis un jour le maître de chai de la maison Tiffon m’a proposé de lui succéder. Dans chaque maison de cognac, il existe toujours un grand respect pour le nez maison. Il est le dégustateur, le technicien, l’esthète et met en pratique si ce n’est une philosophe, tout du moins une sagesse qui s’acquiert grâce à la dégustation quotidienne des eaux-de-vie, jeunes et vieillies, pendant au moins dix ans, le temps nécessaire pour acquérir une certaine maîtrise du métier. Il faut savoir aller lentement, répéter chaque tâche, pour comprendre le sens, maîtriser la direction que prennent les eaux-de-vie logées dans les barriques de chêne, connaître les différents niveaux d’intensité du bois… »
La patience des générations
« Il faut aussi du temps pour apprendre à gérer ses émotions : on reste difficilement stoïque face à des eaux-de-vie parfois centenaires. Et pourtant il ne faut rien brusquer. Je déguste ainsi des eaux-de-vie qui ont été distillées par mon père, mon grand-père et même mon arrière-grand-père. Même à mon âge, je déguste toute la journée des cognacs qui ont été distillés avant ma naissance. Souvent, je brûle d’impatience et j’aimerais avoir dix ans de plus pour connaître leurs évolutions ! Mais aujourd’hui la boucle est en partie faite puisque je commence à assembler mes propres eaux-de-vie !
Il y a une part de magie dans la profession qui est la mienne. Avec le temps, on parvient à créer des compositions de senteurs absolument uniques grâce au bois, à l’humidité… Après quinze ans, les premières notes de rancio apparaissent avec cette essence huileuse, rance et florale propre au cognac. Le chai est ainsi l’incarnation de l’histoire d’une maison ou tout du moins le réceptacle de sa patience, mais aussi des générations qui se sont succédé : la maison Tiffon possède aujourd’hui, dans des chais parfois centenaires, 12 000 barriques qui vieillissent lentement, ce champignon noir qui se nourrit des vapeurs d’alcool. Nous autres, maîtres de chai, sommes ainsi les dépositaires d’un patrimoine à la fois foncier, immobilier, organoleptique et commercial, un héritage qui se transmet dans la patiente perpétuation du style d’une maison. »