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Aux origines d’un succès

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Quel lien entre la religion et le Cognac ? Savez-vous que l’histoire du Cognac est intimement liée à la culture protestante ? Pour en savoir plus, nous vous proposons de découvrir l’article de Patrick Raguenaud, ancien président du Bureau National Interprofessionnel du Cognac, dans le hors-série « L’Incroyable saga du Cognac » édité par La Revue des Deux Mondes sous le titre aux origines d’un succès.

Né dans une famille de viticulteurs et de distillateurs de la région de Cognac, j’ai consacré une très grande partie de ma vie professionnelle au Cognac, ce qui m’a permis de mieux appréhender les particularités du monde du Cognac. Celui-ci est une synthèse de plusieurs influences : le protestantisme allié à la puissance commerciale anglo-saxonne est indéniablement à l’origine de l’« esprit Cognac ». Le rappel de quelques grands faits de l’histoire du Cognac permet d’en saisir les fondements.

Le commerce protestant et la révocation de l’édit de Nantes

L’histoire du Cognac débute vraiment au début du XVIIe siècle. Vers 1610-1620, la distillation des vins de Charente migre de la façade atlantique vers Cognac et Jarnac, et remonte le cours de la Charente pour s’implanter durablement dans la campagne charentaise. À cette époque, la grande majorité des commerçants et bourgeois charentais sont protestants. Ils ex- portent leurs eaux-de-vie par les ports de La Rochelle et Tonnay- Charente. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 va porter un coup terrible à ces familles et à l’économie du pays. Beaucoup d’entre elles décident alors de quitter la France. La Charente n’échappe pas à ces nombreux départs. Paradoxalement, cet exode va servir la cause du Cognac. Ces exilés emportent avec eux leurs souvenirs, l’amour de leur métier ainsi qu’une solide connaissance du Cognac. Beaucoup deviennent importateurs de Cognac. Ils établissent des relations commerciales avec leurs parents et coreligionnaires restés au pays. Ainsi, c’est une formidable population d’ambassadeurs du Cognac qui se répand dans le monde : Hollande, Allemagne, Amérique… Le Cognac devient alors pour l’histoire une eau-de-vie d’exportation. Sa qualité exceptionnelle ne cesse de se renforcer au fil des siècles, ainsi que son caractère international.

Le XVIIIe siècle : forte croissance et influence anglo-saxonnne. Les débuts du libre- échange

La progression de l’économie du Cognac est très forte au cours du XVIIIe siècle. De nombreuses maisons de Cognac se créent : Delamain, Godet, Hennessy, Hine, Martell … La plupart de ces négociants sont des Anglo-Saxons dont le développement est soutenu par la puissance économique et maritime de l’Angle- terre. Pendant tout le siècle, ils vont porter la qualité, l’image et les ventes de Cognac à un niveau jamais atteint jusqu’alors. Cette croissance est à rapprocher d’une évolution de la qualité du Cognac et de sa réputation. Celui-ci s’impose de plus en plus sur les marchés. La technique de distillation évolue et se perfectionne, la nature des terroirs devient de plus en plus reconnue par les négociants, tandis que le vieillissement est géré de manière plus rigoureuse.

Enfin, cette croissance va atteindre son apogée avec le libéralisme du règne de Louis XVI et la signature d’accords de libre- échange entre la France et l’Angleterre. Ces derniers permettent aux ventes de Cognac de doubler entre 1775 et 1792.

Les négociants ont alors pris conscience que le Cognac est la meilleure eau-de-vie du monde. Ils ne cesseront désormais de le promouvoir mais aussi de le défendre. Le Cognac va devenir un produit de luxe dont le prix sera définitivement plus élevé que celui des autres spiritueux. Le manifeste du 14 mai 1791 représente tout ce qui fait la réputation du Cognac aujourd’hui encore. Il commence ainsi : « Les négociants soussignés, faisant le commerce des eaux-de-vie de Cognac provenant des crus des ci- devant provinces de Saintonge et d’Angoumois considérant que la réputation dont cette eau-de-vie jouit est due non seulement à sa qualité supérieure, mais à la confiance fondée sur l’opinion qu’il n’y entre point d’eau-de-vie étrangère… » Ce texte signé par les grands négociants de l’époque montre l’extraordinaire clair- voyance et vision à long terme de ces hommes. Ils rejettent aussi

« les misérables gains du moment qui ne peuvent que nuire à l’intérêt général et à la réputation de notre commerce ». Les siècles suivants ne feront que confirmer cet état d’esprit, fondateur du Cognac.

Bataille entre catholiques et protestants, Cognac, 1568, gravure colorée d’Hogenberg, © AKG-Images/De Agostini/G. Dagli Orti

Cette période majeure pour le Cognac conforte l’installation des négociants anglo-saxons à Cognac. Leur influence et leur contribution au fonctionnement de la région deviendront primordiales dans les siècles suivants. Elle met aussi en évidence le lien fort entre libre-échange et prospérité de la région de Cognac. Cette relation sera de nouveau confortée aux XIXe et XXe siècles.

L’accord de libre-échange de 1860 avec l’Angleterre

Signé le 23 janvier 1860 entre la France et l’Angleterre, il est accueilli avec enthousiasme à Cognac. Il permet un développement considérable des ventes entre les deux pays. Elles triplent en dix ans. Cet accord est indiscutablement un élément majeur du développement de l’économie du Cognac et de sa prospérité. Le vignoble connaît alors lui aussi une progression importante, les maisons de négoce se multiplient et soutiennent avec ferveur cet accord. La crise du phylloxéra termine brutalement cette période si favorable, qui aura renforcé les liens entre l’Angleterre et le Cognac et va marquer durablement l’attachement de la région de Cognac aux accords internationaux favorables à la liberté du commerce et la limitation des taxes, droits et autres obstacles qui peuvent pénaliser le commerce et tout particulièrement les ventes de Cognac.

Le phylloxéra

Les premiers signes de la maladie apparaissent en 1872 en Charente. Très vite, la progression de l’insecte ravageur est phénoménale. Ainsi, de 282 667 hectares, la superficie du vignoble tombe à 40 634 hectares en 1893. De nombreux vignerons doivent arracher leurs vignes, les travaux de construction de mai- sons sont abandonnés en cours de chantier, la misère gagne le pays du Cognac. Enfin, en 1887, Pierre Viala, ampélographe spécialiste des maladies de la vigne, rapporte des États-Unis des plants résistants au phylloxéra qui vont servir de porte-greffes aux vignes françaises. Le vignoble peut être replanté. Il va l’être, mais son aire géographique en est profondément modifiée. La qualité recherchée par le marché va imposer une replantation prioritaire dans les crus centraux (autour de Cognac) au détriment des zones côtières.

Ce travail de replantation se fait sous l’impulsion et l’engagement très fort des négociants et de quelques propriétaires. C’est ainsi que, pour fédérer les énergies, le Comité de viticulture, ancêtre du BNIC (Bureau national interprofessionnel du Cognac), est créé en 1888. Cette décision qui implique l’engagement des viticulteurs et des négociants dans un projet commun et collectif est certainement la première collaboration entre négociants et viticulteurs dans l’histoire du Cognac. Les uns et les autres ont compris leur dépendance totale et le nécessaire partage de la solidarité dans la gestion de la région. L’union est d’autant plus facile à obtenir que le Cognac apporte une richesse qui se diffuse largement. Cette démarche volontaire, sans sollicitation extérieure, témoigne du sens des responsabilités des deux familles et constitue une des bases de l’économie du Cognac.

Au fil du temps, cette forte communauté d’intérêts ne fait que croître. Ainsi par exemple, en 1909, lorsque le ministre demande la pose sur chaque bouteille d’une vignette qui oblige au versement d’un droit de 10 centimes, la région se retrouve mobilisée et unie. Une manifestation regroupant négociants et viticulteurs entraîne l’annulation du projet. La création de nouvelles structures et le renforcement de l’organisation régionale deviennent nécessaires. Créée en 1921, l’Union de la viticulture et du commerce peut être considérée comme une étape vers la constitution en 1946 du BNIC.

La crise du phylloxéra aura été le point de départ de la mise en place d’une gestion partagée de la région de Cognac. Les viticulteurs et les négociants ont alors pris conscience de leur totale interdépendance et ont été, de leur propre initiative, à l’origine de la création de structures paritaires qui aujourd’hui continuent à gérer la région de Cognac. Ce réalisme et ce pragmatisme, associés à un sens aigu des responsabilités et à la volonté d’assurer soi-même la défense de ses propres intérêts, marquent toujours profondément, aujourd’hui encore, notre région. Ce comporte- ment est parfois perçu comme l’expression d’un esprit indépendant capable de s’opposer à l’administration mais par ailleurs ouvert à la négociation et à l’écoute. Ce caractère si particulier tient au métissage des hommes et de leurs cultures : esprit protestant, influence anglo-saxonne, bon sens des viticulteurs. Le tout au service de l’intérêt collectif et de l’économie du Cognac. La crise du phylloxéra a également mis en lumière l’importance stratégique du stock de Cognac. Lorsqu’elle est survenue, le stock était très élevé à la suite des plantations nouvelles et des importantes récoltes des années passées. Il représentait au début de la crise près de vingt années de vente. Avant la replantation du vignoble, il aura permis pendant une longue période d’assurer la présence du Cognac sur les marchés étrangers.

Dessin représentant la lutte contre le phylloxéra dans les années 1870, 1890, © Agefotostock/Alamy Stock Photo

Création de la région délimitée Cognac

En cette fin du XIXe siècle, la chute des volumes de production de Cognac due à la crise phylloxérique provoque l’arrivée d’eaux-de-vie étrangères à des prix moindres et de qualité bien inférieure. Des confusions se font jour qui altèrent l’image du Cognac. C’est ainsi que des usurpations de l’origine de Cognac sont de plus en plus nombreuses.

Déjà en 1791, face à une situation similaire créée par l’importation d’eaux-de-vie espagnoles, les principaux négo- ciants s’étaient engagés « sur leur honneur et leur conscience à ne commercialiser que des eaux-de-vie de Saintonge et d’Angoumois ». La situation commerciale née de la crise du phylloxera allait conduire les négociants à renouveler cet enga- gement de rigueur et de probité en proposant et en soutenant l’adoption du décret de 1909 qui délimite officiellement la région de production du Cognac. La défense de la qualité du Cognac pour laquelle il est coutume de ne jamais transiger, la pro- motion de son image haut de gamme sont une constante de son histoire, ce qui explique pourquoi, depuis plus de trois siècles, il est reconnu comme un produit d’exception.

XXe siècle : la préservation du stock pendant l’Occupation

Pendant ce siècle, les structures ébauchées au siècle précédent ont permis, en se renforçant, de supporter les crises majeures que le Cognac a dû affronter.

Ainsi le Comité de la viticulture termine la replantation du vignoble avec le soutien constant du négoce et poursuit, après la Seconde Guerre mondiale, sa mission de recherche technique en devenant la station viticole qui sera rattachée au BNIC.

Ancien chai Godet, carte postale, © Cognac Godet

Pendant la guerre de 1939-1945 et sous l’Occupation, l’Union de la viticulture et du commerce se transforme en une organisation plus officielle et devient en 1941 le Bureau de répartition des vins et des eaux-de-vie. Il joue un rôle majeur pour la protection du stock. En effet, la défense du stock apparut vite comme une évidence pour assurer la pérennité et la reprise de l’économie régionale dès la guerre terminée. Voici ce que déclarait un grand négociant après la guerre : « Lorsque en 1940 la France fut occupée il apparut que les questions les plus importantes pour l’avenir de notre région étaient de tenter de sauve- garder son outil de production : le vignoble et son outil de travail, le stock. Ce qui fut réalisé. » Encore une fois la vision et l’engagement des hommes de la région sauvèrent le Cognac. Que serait- il devenu après la guerre sans son vignoble et sans son stock ?

Dès l’après-guerre, la libéralisation du commerce permit aux négociants de montrer leur formidable compétence commerciale en remettant le Cognac sur les chemins de l’exportation, d’autant plus facilement que l’image du produit avait toujours été soigneusement entretenue. De leur côté, les viticulteurs développèrent la production. Ainsi, même au plus fort des crises, les préoccupations de long terme ont toujours été prioritaires pour les viticulteurs et les négociants. Entre 1947 et 1971, les exportations de Cognac ont été multipliées par cinq.

Aboutissement de plus de deux siècles d’histoire et conséquence directe de la guerre, le BNIC est créé en 1946. Organisation professionnelle paritaire (composée de 50 % de viticulteurs et de 50 % de négociants), il est la résultante de ce que les hommes de la région avaient appris et compris de leurs échecs et de leurs réussites passés. Comment gérer les problèmes complexes, mener des négociations délicates, maintenir un esprit d’écoute pour rapprocher des points de vue et aboutir à des com- promis ? Il fallait une institution solide, stable et représentative qui puisse concourir au développement de la région et défendre ses intérêts et donc sa prospérité.

À Cognac comme ailleurs, le bon fonctionnement d’une institution est le résultat d’un engagement personnel pour une cause collective. Cognac a toujours eu des hommes capables de s’engager avec responsabilité et le souci de l’intérêt général.

Les influences majeures qui ont marqué l’histoire du Cognac

Les protestants à qui l’on interdisait de pratiquer de très nombreux métiers sauf le commerce furent, dès le XVIe siècle, les premiers à développer le commerce de l’eau-de-vie de Cognac pour en faire un produit de prestige. De nombreuses familles poursuivent encore aujourd’hui l’activité de leurs ancêtres. Ces derniers apportèrent à la région un esprit de tolérance, nécessaire dans un monde qui leur était hostile, et un sens des responsabilités propice à l’autonomie. Tout ce qui peut être décidé localement doit l’emporter sur une conception centralisatrice.

Si la révocation de l’édit de Nantes fut un drame national, il permit d’accélérer la diffusion du Cognac à l’international. Les Anglo-Saxons consolidèrent le développement commercial du Cognac en exigeant la rigueur de la qualité sur le long terme que nécessite le commerce du Cognac. Celui-ci reprit ses droits après les guerres de religion tandis que les différentes cultures, anglo-saxonne, protestante et catholique, s’assemblaient pour créer un « esprit Cognac » que l’on pourrait définir ainsi : tolérance, sens du compromis, rigueur, grand pragmatisme, ne compter que sur soi pour les décisions personnelles, vision à long terme. Un assemblage réussi dans lequel aucun des ingrédients ne domine mais participe au succès de l’ensemble. Rapporté au Cognac, cet assemblage se traduit par un partage des tâches fondateur de son économie : le viticulteur produit et le négociant vend.

L’arrivée des marchands anglais obligea toujours les hommes du Cognac à travailler ensemble sur un pied d’égalité. Ils comprirent très tôt que leurs destins étaient liés. Les différentes crises auxquelles le Cognac a été confronté ont permis la mise en place progressive d’une organisation professionnelle et l’élaboration d’outils permettant une meilleure gestion de la région. Le BNIC, mais aussi des organisations collectives comme l’Organisation économique du Cognac (Oreco) et la Revalorisation des vinasses de Cognac (Revico) sont représentatives de cet esprit d’une collaboration au service du commerce du Cognac et de la prospérité de la région.

Aujourd’hui, ce sont ces valeurs collectives et de solidarité qui guident l’action des hommes du Cognac, avec le succès que l’on connaît.

(c) La Revue des Deux Mondes

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