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Qui a inventé le Cognac ?

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Qui a inventé le Cognac ?

Victor Hugo affirme que le Cognac est « la liqueur des dieux », breuvage fait par eux… ou pour eux ? Certainement les deux dans l’esprit du poète. Mais si on revient sur terre, on sait qu’à l’inventaire des inventeurs, nombreux sont ceux qui se voient attribuer l’eurêka décisif pour des créations de breuvages ou nourritures terrestres : le champagne à Dom Pérignon, la crème fouettée à Vatel, le whisky à saint Patrick… Alors, qui pourrait être à l’origine du Cognac ?

L’exercice d’historiographie consistant à étudier comment a été présentée la genèse du Cognac débute par le constat d’un réel vide scientifique, camouflé par le recours à la légende avant d’être pris en main par les historiens, jusqu’au projet d’inscription au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.

En 1877, Charles Albert d’Arnoux, dit Bertall, illustrateur parisien en vogue, publie ses notes d’un voyage à travers les vignobles français. De son passage en Charente, il prétend donner un rapport précis. Si les descriptions des paysages et des habitants le sont en effet, la partie historique montre à quel point, à cette date, on se soucie peu de raconter les origines avec rigueur. Ainsi, après avoir expliqué qu’au XVIIe siècle les caboteurs hollandais venaient chercher les vins blancs secs et forts en alcool auprès des métairies de Cognac, il abrège ainsi la question de la genèse : « Un beau jour, on s’aperçut que ces vins blancs de Cognac, distillés, donnaient une liqueur bien supérieure à tout ce qui s’était bu jusqu’alors, et réunissaient une délicatesse de goût, une suavité de bouquet et de parfum, une harmonie générale dont on n’avait précédemment aucune idée. » « Un beau jour », on se serait donc mis à distiller en Charente et les Hollandais seraient impliqués.

Deux vignerons avec du raisin, alambic et verre de Cognac, détail d’une fenêtre avec vitrail. Le Bois-Plage-en-Ré (île de Ré). © AKG- Images/Catherine Bibollet

Mais le savoir-faire du Cognac n’est pas dans cette distillation-là, déjà pratiquée depuis longtemps et dans différents lieux, il réside dans la double distillation. Cette invention est attribuée à un homme, le chevalier de la Croix-Maron, seigneur de Segonzac. Il est courant de dire « la légende veut » alors que ce sont bien les hommes qui cherchent à se donner une histoire. Ainsi donc, « la légende veut » que ce procédé essentiel ait été inventé par ce chevalier qui s’est vu en rêve dans un chaudron en train de bouillir alors que Satan tentait de lui voler son âme. L’âme pieuse ayant résisté à cette première torture, le Diable entreprit une deuxième « cuisson ». Au réveil, l’ingénieux mortel eut l’idée d’extraire le meilleur de l’eau-de-vie de raisin grâce à une deuxième distillation. Ce seigneur de Segonzac, quasiment absent de l’histoire locale, trouve ainsi une bien meilleure place grâce à la légende, sans que l’on sache vraiment qui lui a attribué cette technique décisive pour les eaux-de-vie. La postérité de celui qui aurait été secrétaire de l’Ambassade de Constantinople semble se construire davantage sur des écrits religieux, dans lesquels il défend notamment la transsubstantiation. Peut-être faut-il y voir un rapport ? Ainsi, il n’apparaît pas dans les écrits de la fin du XIXe siècle de l’abbé Cousin qui présente abondamment les faits historiques de la Charente. Au chapitre de Segonzac, point de chevalier de la Croix-Maron et point de narration expliquant l’invention de la double distillation. La source la plus développée est une œuvre de fiction, Le Chevalier de la Croix-Maron, pièce héroïcomique en quatre actes et en vers. Elle est commandée à Eugène Guillebaud en pleine Seconde Guerre mondiale. Le texte paraît en 1943 grâce aux soutiens de négociants donateurs, mais ne peut être jouée comme prévu. Les légendes sont inhérentes à tous les groupes humains et participent à la construction de la culture. Celle du pieux chevalier vient témoigner de l’incapacité à raconter la naissance complexe et le succès formidable de l’eau-de-vie des Charentes.

L’apparition tardive de ce storytelling témoigne du besoin pour une communauté de trouver a posteriori un acte fondateur. Il y aurait donc eu « un beau jour » où l’on choisit de distiller les vins et une nuit agitée au cours de laquelle un seigneur local eut la révélation de la double distillation.

La construction du récit historique

Les historiens ne pouvaient en rester là et se sont penchés sur leurs sources pour écrire l’histoire sans affabuler. Les archéologues ont établi la présence d’installations viticoles dès le IIe siècle aux environs de Cognac, et aussi près de la côte atlantique. Le commerce du vin, tout comme celui du sel et du blé, est à l’origine de la prospérité de la région. L’Aunis, la Saintonge et l’Angoumois sont des terres viticoles reconnues depuis la période gauloise et durant tout le Moyen Âge. Pour autant, avant 1600, les références à l’eau ardente, ou l’eau-de-vie, restent bien rares. Le passage consacré au Cognac dans les ouvrages encyclopédiques dirigés par Julien Turgan, édités dans les années 1860 et portant sur l’industrie, les arts et les métiers, est un aveu d’ignorance : « Les documents nous ont manqué pour établir d’une manière précise l’époque à laquelle a commencé la renommée de Cognac. Du temps de Shakespeare, c’était Nantes qui avait le privilège de donner son nom à la marque fine estimée des gourmets du temps, plus tard ce fut La Rochelle. […] Nous ne pouvons préciser l’époque à laquelle ce commerce se modifia, et où l’on commença à extraire de ces vins l’alcool accompagné des arômes qui constituent le Cognac. »

Robert Delamain, auteur d’une Histoire du Cognac parue en 1935, est un des premiers à s’intéresser sérieusement à la genèse du produit. Il rapporte qu’un document de 1549 émanant d’un marchand de La Rochelle mentionne « l’achat de quatre barriques pleines d’eau-de-vie bonne et marchande », ce qui représenterait la première trace du précieux liquide dans l’écosystème charentais. Pour la fin du XVIe siècle, les archives portant le terme d’eau-de-vie sont suffisamment rares pour affirmer que la fréquence de son élaboration et commerce était insignifiante. Les archives de Cognac et de Saintes ne font pas référence aux eaux-de-vie avant 1600. En 1752, le Rochelais Louis-Étienne Arcère cite un témoignage de 1712 indiquant que la conversion des vins en eaux-de-vie dans la région daterait d’environ 1620. C’est donc au XVIIe siècle que l’eau-de-vie des Charentes commence à circuler et à prendre sa place dans le registre des boissons appréciées. Les Hollandais, lassés des alcools de grains de mauvaise qualité, encouragent la production charentaise, d’abord en important des vins qu’ils distillent chez eux, puis en installant des alambics sur place, notamment à La Rochelle et à Tonnay. À la fin du Grand Siècle, l’eau-de-vie obtenue par la distillation des vins du vaste vignoble charentais se distingue des autres eaux-de-vie produites en France. Et en 1751, dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, la ville de Cognac est donnée « fameuse pour ses eaux-de-vie ». Cette fois, ce sont les Irlandais et les Anglais, plus exigeants en termes de degré, de teinte et d’arômes, qui règlent le marché. Des maisons de négoce sont fondées, dont plusieurs dirigées par des expatriés venant de ces contrées : notamment Richard Hennessy, James Delamain et Thomas Hine. Le Cognac est lancé à grande vitesse vers un succès mondial. Mais il faudra de l’obstination pour maintenir la conjonction des facteurs favorables. Jean Monnet, acteur illustre du négoce du Cognac, donne sa version de l’origine et de la réussite du produit charentais : « La qualité du Cognac est le résultat d’un concours heureux de chances naturelles et de solides vertus, entretenues depuis plus de deux siècles par des cultivateurs et des négociants obstinés. » Nous sommes loin du mysticisme du chevalier de la Croix-Maron. Encore plus prosaïquement, nombreux sont les historiens qui attribuent au traité de libre-échange Cobden-Chevalier de 1860 des effets dont l’efficacité rivalise largement avec les chances naturelles du terroir. En abaissant les taxes sur les produits français, cet accord ouvrait à la spécialité charentaise le gigantesque marché de l’Empire britannique, lui assurant ainsi son succès mondial.

De l’histoire au patrimoine commun 

L’historiographie du Cognac a connu une étape décisive ces dernières années dans le cadre des travaux menés pour nourrir le dossier de candidature des « Savoir-faire du Cognac » au titre de Patrimoine culturel immatériel auprès de l’Unesco. La reconnaissance préalable par le ministère de la Culture a été obtenue en janvier 2021. Les recherches et les synthèses ont mobilisé la mémoire, les connaissances et les expériences des acteurs actuels pour écrire la page la plus contemporaine de l’histoire du Cognac : cette page privilégie la notion de transmission à l’origine du produit et de son succès. En témoignent les lignes d’introduction de la fiche d’inscription : « L’élaboration du Cognac, eau-de-vie de vin distillée deux fois en alambic charentais, est un processus patient et collectif, qui s’est construit par la transmission des savoir-faire depuis le XVIIe siècle. » Ce sont bien « l’empirisme et la transmission orale, perpétués de génération en génération et appuyés sur des traditions viticoles et un négoce structuré in situ dès l’origine » qui constituent les fondements identitaires de la communauté. Les textes de la fiche d’inventaire forment le nouveau roman charentais au sein duquel les expériences mystiques, le génie individuel, les actions décisives de certains groupes ont laissé la place à des actions complémentaires au sein d’une grande communauté inclusive. Communauté multiculturelle traversée par une « tradition qui s’appuie sur une alliance entre des savoir-faire viti-vinicoles locaux et une culture marchande apportée depuis le XVIe siècle par les négociants étrangers (hollandais, anglo-saxons, norvégiens…), qui a toujours été fondée sur une logique d’échanges et de complémentarités ». Finalement, la genèse et l’histoire du Cognac, dénuées d’inventeurs, s’expriment comme l’œuvre d’un collectif dont la force reste indispensable face aux enjeux contemporains.

Bamboccio, Vendeur de brandy, 1599- 1642,
© AKG-Images/De Agostini Picture Lib./V Pirozzi

© La Revue des Deux Mondes

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