L’écrivain autrichien Reinhard Pohorec a arpenté la Nouvelle-Orléans, la grande ville de Louisiane, à la recherche de quelques-uns de ses bars les plus mythiques. Dont l’histoire se confond souvent avec celle du cocktail.
Bien qu’étant la ville à l’épicentre de la culture américaine du cocktail, la Nouvelle-Orléans incarne également une joie de vivre « française » : la Nouvelle-Orléans est en effet un melting pot aux multiples visages. La fusion du classique chic et du chaos contemporain, de la grandeur élégante d’un passé depuis longtemps révolu et de l’ivresse frénétique du désespoir. La Nouvelle-Orléans est un paradoxe, mais le plus charmant et le plus stimulant. Son classicisme séculaire contraste harmonieusement avec la foule éclectique qui se déverse dans Bourbon Street.
La Nouvelle-Orléans, c’est « the Big Easy ». C’est ici que règnent Arnaud’s ou la Old Absinth House, adresses historiques situées à quelques mètres à peine des granités fluo et des gobelets en plastique en forme de bong. Alors que je déambule dans la chaleur moite de ses rues, j’ai l’impression de remonter le temps. Je marche ici dans les traces de cocktails mythiques tout en poursuivant ma permanente quête de bars et de restaurants d’exception…
Retour aux sources (du cocktail)
L’héritage français est ici l’une des pierres angulaires de la culture, comme le rappelle David Wondrich, historien, bon vivant et quelque peu poète : « En Louisiane, les Français n’ont rien fait discrètement, érigeant un comptoir commercial ici et bâtissant un fort de bois et de torchis là, proclamant leur domination sur quelques-unes des plus belles terres de la région. »
Le Cognac, symbole ici de l’esprit français, est lié à cette histoire. Il marque de son empreinte les cocktails nés en Louisiane comme le Sazerac, le Brandy Crusta, le Vieux Carré et de bien d’autres. Moi ? Je marche dans la ville en sirotant des gorgées d’histoire liquide !
Le carrousel du temps
Le quartier français est bien sûr le premier endroit où rechercher l’empreinte du cognac sur la ville. Mais son influence se fait sentir bien au-delà, dans tout le delta du Mississippi. Car oui, on rencontre toujours le vif chatoiement rougeâtre d’un robuste Sazerac au Sazerac Bar de l’hôtel The Roosevelt New Orleans. Comment imaginer le contraire dans ce bar si bien nommé ? Car oui, on ressent toujours un léger tournis à déguster un Vieux Carré en tournant sur le Carousel Bar & Lounge de l’Hotel Monteleone.
Flânant sur Carondelet et Gravier Street, je baigne allégrement dans le folklore des bars, me laissant transporter par les histoires que seul un grand seigneur, à la fois mixologue et historien, comme Chris McMillian sait les raconter… En le laissant verser tout doucement dans une coupette la dernière goutte d’un Sidecar, je comprends de mieux en mieux, à force d’histoires, l’influence du cognac dans la ville.
Bien entendu, certaines de ses histoires ne sont que de (belles) légendes. Mais la Nouvelle-Orléans fait toujours passer le plaisir avant la pédanterie. Et puis, comme le dit David Wondrich, « aucun cocktail, aussi célèbre soit la main qui les remue, n’est jamais aussi bon que ceux sirotés au Tujague’s, à la Napoleon House, au Broussard’s ou tout autre bar où officie le volubile Chris McMillian, au savoir encyclopédique. Je ne sais pas comment l’expliquer en termes de chimie ou de physique, mais c’est néanmoins un fait scientifique avéré, au même titre que le premier principe de la thermodynamique. »
© Jordan Hugues